_ Vous êtes vraiment un incapable de première classe, Stoievski. C'en est presque brillant ! S'exclama Etherius Edolga devant l'ensemble du personnel du centre de recherche qu'il dirigeait depuis quelques temps.
Je ne parviens pas à comprendre le raisonnement qui a traversé votre minuscule cerveau de scrout à pétard au moment où vous avez commis cette erreur monumentale. Vous êtes aussi inutile à ce laboratoire qu'un sèche-cheveux à un strangulot ! C'est décidé, vous êtes viré ! Hors de ma vue ! Le dénommé Stoievski sortit de la pièce sans un mot, la tête dans les épaules et les yeux humides. Au même moment arriva Catriona, le pas léger et dansant, dans une robe blanche interminable qui resta coincée dans la fermeture pneumatique de la porte. La sécurité de l'installation s'enclencha et la porte se rouvrit juste le temps pour elle de dégager le tissu. Après quoi elle se remit à trottiner vers son frère.
_ Pourquoi est-il si triste ? Etherius attira sa jeune soeur à lui le temps de déposer un baiser sur sa tempe et la libéra pour se tourner de nouveau vers sa table de travail.
_ Parce que je l'ai renvoyé, mon coeur. _ Pourquoi ? _ Parce qu'il a commis une grave erreur. _ Quelle grave erreur ? Voulut encore savoir Catriona en battant innocemment des cils.
On pouvait imaginer des tonnes de raisons car les expériences qui étaient menées dans ce laboratoire nécessitaient une précision et une précaution extraordinaires. Le moindre calcul était vérifié trois fois. Les enjeux et la dangerosité des produits en développement étaient tellement importants que la moindre faute d'attention pourrait être fatale.
Etherius colla son oeil gauche sur la lorgnette d'un microscope et bricola quelques réglages avant de lâcher d'un air absent :
_ Il m'a pris un sandwich avec du pain au sésame pour déjeuner. Catriona mit la manche de son tricot devant sa bouche pour pouffer de rire puis se colla au dos de son frère pour enlacer étroitement sa taille et posa sa joue contre son homoplate. Elle resta ainsi immobile tout le temps qu'il passa à observer l'échantillon d'on-ne-savait-trop-quoi au microscope tout en griffonnant simultanément ses observations sur un bout de parchemin.
Au bout d'un moment, la jeune fille lâcha Etherius et déclara de but en blanc :
_ Il faut qu'on rentre. L'alchimiste marmonna quelque chose qui signifiait qu'il n'avait rien écouter et qu'il apprécierait un peu de silence mais Catriona insista en tirant sur la manche de sa blouse blanche.
_ Il faut qu'on rentre maintenant, sinon nous allons les manquer. Viens. Cette fois, le jeune homme comprit que sa soeur faisait référence à une vision qu'elle venait d'avoir. Il fronça les sourcils et déglutit discrètement. Sans toutefois se détourner de son travail, il demanda :
_ Qui allons nous manquer, Cat' ?Les lèvres de la demoiselle s'étirèrent en un large sourire – phénomène tellement rare que lui seul aurait suffi à faire céder Etherius – et elle s'exclama joyeusement :
_ Mes amis ! Ses amis ? Il n'y avait que peu de personnes que la jeune Edolga nommait ainsi. En fait, ils étaient trois : Michael, le chef des Archangels, Helen, l'assassin qui l'avait délivrée de ses kidnappeurs à la demande de son frère, et sa peluche géante en forme de lapin blanc. Il était probable que la femme passe les voir car elle ne prenait jamais la peine de s'annoncer au préalable mais Michael devait se trouver quelque part sur la base où ils se trouvaient actuellement. Pourquoi viendrait-il jusque chez les Edolga plutôt que de franchir les quelques portes qui les séparaient ?
_ Il faut qu'on rentre, répéta la demoiselle avec plus d'impatience que les deux premières fois pour le sortir de ses pensées.
Bien qu'il avait encore une foule d'expériences à mener, l'achimiste céda.
***
Le frère et la soeur transplanèrent dans la forêt qui bordait la petite cabane de chasse qui leur servait de maison. Elle était si perdue que même le gibier n'y venait pas. Il fallait avoir une sacrée bonne raison pour franchir les murs de verdure qui la gardaient car ici, la nature reprenait ses droits et n'était clairement pas hospitalière envers les intrus.
C'est main dans la main qu'ils se frayèrent un chemin dans les fougères déjà à moitié aplaties par leurs allers et venues quasi-quotidiennes jusqu'à leur petit porche en bois. Avant même de monter sur la première marche, Etherius sentit qu'il y avait des gens chez lui. Un sizième sens sans doute car rien à l'extérieur ne permettait de le confirmer. Le tapis était bien mis et la porte fermée. Tout était exactement comme il l'avait laissé en partant.
_ Reste derrière moi, murmura-t-il tout bas à sa soeur en la poussant dans son dos avant d'actionner la poignée.
Le hall d'entrée était vide mais il y avait un bruit de conversation dans le salon. Elle cessa quand les propriétaires des lieux pénétrèrent dans la pièce. Helen se trouvait bien là, majestueuse comme à son habitude, dans le grand fauteuil de cuir brun près de la cheminée éteinte. Elle n'était pas venue seule mais comme Etherius l'avait bien supposé, ce n'était pas Michael. C'était une personne qu'il n'avait jamais vue auparavant. Il était petit, enfin plus petit que lui, et dès que Catriona le vit, elle s'écria avant de se mettre à courir vers lui :
_ Junjun ! Il y eut un craquement précédant quoi l'alchimiste disparut de là où il se trouvait et réapparut juste entre sa soeur et l'inconnu alors qu'elle l'avait presque atteint. Catriona s'écrasa contre le dos de son frère qui ne bougea pas d'un cil. Son visage était baissé vers celui du jeune homme qu'il voyait mieux à présent étant donné qu'il n'était plus qu'à quelques centimètres de lui. Leurs souffles se mélangeaient. Etherius remarqua que ses yeux étaient bleus et qu'ils exprimaient une douceur dangereuse.
_ Reste derrière moi j'ai dit, maugréa le propriétaire des lieux à l'intention de sa soeur en fusillant le collègue d'Helen du regard.
Attrapant le bras de Catriona, il s'écarta de ce "Junjun" et reporta son regard orageux sur Helen.
_ Ce n'était plus assez d'entrer chez moi par effraction à ce que je vois, Majesté. Voilà qu'à présent vous conviez aussi de parfaits inconnus à la fête...